Le Discours sur les Sciences et les Arts de Rousseau, aussi appelé premier discours, est une participation au concours proposé par l’Académie de Dijon. Il gagnera ce concours. Avec le Discours sur les Sciences et les Arts, Rousseau deviendra populaire dans toute l’Europe.
La question de l’Académie demandait si les sciences et les arts ont contribué à épurer les moeurs. Dans le contexte dans lequel il rédige ce discours – siècle des Lumières – on pourrait s’attendre à une éloge des sciences et des arts. Ce ne fut pas le cas. Il prit le parfait contrepied.
Rousseau critique la vie molle, la bassesse et le goût du luxe des hommes pervertis par les sciences et les arts. Il regrette les hommes vigoureux, guerriers, aux moeurs saines et à la vertu sans tâche.
Si le diagnostic de Rousseau est particulièrement intéressant, les solutions apportées sont légères.
Dans ce résumé, je ne parle pas des exemples utilisés par Rousseau qui se réfèrent à l’antiquité, que je ne connais pas assez bien. Je vous invite à vous référer au texte si besoin.
Pour ma part, j’ai acheté et lu l’édition livre de poche, disponible ici, que j’ai trouvé très bien. Néanmoins, le texte est disponible sur Gallica en PDF ou sur le site de l’Académie de Grenoble (ici).
Sommaire :
Les sciences et les arts camouflent notre esclavage.
Des savoirs-faire résultent des commodités. Les sciences et les arts créent le besoin. Les commodités nous assujettissent à de nouveaux besoins. Elles entravent notre liberté.
L’homme est un animal. A-t-il réellement besoin de meubles, de cadres et de rubans ? Ce nouveau confort lui rend la vie plus simple, mais l’oblige à travailler pour survivre. Maintenant, comment ferait-il sans ? Il en est désormais dépendant.
Les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissant peut-être étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fers dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimé leur esclavage et en forment ce qu’on appelle des peuples policés.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
La corruption des coeurs.
Les sciences et les arts ont corrompu les moeurs et la vertu. C’est la thèse centrale de ce premier discours.
L’effet est certain, la dépravation réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. On a vu la vertu s’enfuir à mesure que leur lumière s’élevait sur notre horizon.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
L’art a façonné nos manières.
Les artistes du XVIII ème siècle n’hésitent plus à peindre les vices, à attiser de nouveaux désirs et à pervertir les peuples pour leur plaire.
Nos jardins sont ornés de statues et nos galeries de tableaux. Que penseriez-vous que représentent ces chefs-d’oeuvre de l’art exposés à l’admiration publique ? Les défenseurs de la patrie ? ou ces hommes plus grands encore qui l’ont enrichie par leurs vertus ? Non. Ce sont des images de tous les égarements du coeur et de la raison, tirées soigneusement de l’ancienne mythologie, et présentées de bonne heure à la curiosité de nos enfants; sans doute afin qu’ils aient sous leurs yeux des modèles de mauvaises actions, avant même que de savoir lire.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
Les représentations dictent les nouvelles moeurs, les lettres dictent un langage nouvellement apprêté, ils viennent, tous deux, remplacer le naturel et la vertu par des politesses sans fond, ni sincérité.
Avant que l’art eût façonné nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, nos moeurs étaient rustiques, mais naturelles; et la différence des procédés annonçait au premier coup d’oeil celle des caractères. La nature humaine, au fond n’était pas meilleure; mais les hommes trouvaient leur sécurité dans la facilité de se pénétrer réciproquement, et cet avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épargnait bien des vices
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
Aujourd’hui, que des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit l’art de plaire en principes, il règne dans nos moeurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule : sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne; sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie.
Pire, les hommes simples, citoyens vertueux, paysans nourriciers de notre nation, sont exclus et méprisés.
Nous avons des physiciens, des géomètres, des chimistes, des astronomes, des poètes, des musiciens, des peintres; nous n’avons plus de citoyens; ou s’il nous en reste encore, dispersés dans nos campagnes abandonnées, ils y périssent indigents et méprisés. Tel est l’état où sont réduits , tels sont les sentiments qu’obtiennent de nous ceux qui nous donnent du pain, et qui donnent du lait à nos enfants.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
La corruption des artistes par le luxe.
Les sciences et les arts créent le luxe : tableau, broderie, manche crevée, pendule, ornement, vin.. Et la convoitise du luxe corrompt les artistes. Ils ne créent plus pour partager des idées nouvelles, mais pour se gargariser d’éloges, pour être populaire.
Tout artiste veut être applaudi. Les éloges des ses contemporains sont la partie la plus précieuse de sa récompense. Il rabaissera son génie au niveau de son siècle et aimera mieux composer des ouvrages communs qu’on admire pendant sa vie que des merveilles qu’on n’admirerait que longtemps après sa mort.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
La critique du luxe chez Rousseau est une critique de la corruption des moeurs et de la vertu. Le luxe pousse à la jalousie, l’envie, le vice et corrompt les coeurs (naturellement bons). Si certains défendent le luxe en expliquant qu’il fait vivre les (petits) artisans; pour Rousseau, le luxe encourage les inégalités. Rousseau écrira quelques années plus tard le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Il est résumé sur le blog : ici
Le luxe peut être nécessaire pour donner du pain aux pauvres ; mais, s’il n’y avait point de luxe, il n’y aurait point de pauvres.
Le luxe nourrit cent pauvres dans nos villes, et en fait périr cent mille dans nos campagnes. L’argent qui circule entre les mains des riches et des artistes pour fournir à leurs superfluités est perdu pour la subsistance du laboureur ; et celui-ci n’a point d’habit, précisément parce qu’il faut du galon aux autres.Il faut des jus dans nos cuisines, voilà pourquoi tant de malades manquent de bouillon. Il faut des liqueurs sur nos tables, voilà pourquoi le paysan ne boit que de l’eau. Il faut de la poudre à nos perruques, voilà pourquoi tant de pauvres n’ont point de pain.
Dernière réponse à M. Bordes, Rousseau
Le rôle de l’éducation.
Rousseau critique l’apprentissage des arts et des sciences dans l’éducation des enfants. Ils n’ont plus le temps d’apprendre l’essentiel – les devoirs, l’humanité et le courage – puisqu’ils passent tout leur temps à apprendre les sciences et les arts.
Si la culture des sciences est nuisible aux qualités guerrières, elle l’est encore plus aux qualités morales. C’est dès nos premières années qu’une éducation insensée orne notre esprit et corrompt notre jugement. Je vois de toutes parts des établissements immenses, où l’on élève à grands frais la jeunesse pour lui apprendre toutes choses, excepté ses devoirs. Vos enfants ignoreront leur propre langue, mais ils en parleront dʼautres qui ne sont en usage nulle part : ils sauront composer des vers qu’à peine ils pourront comprendre : sans savoir démêler lʼerreur de la vérité, ils posséderont lʼart de les rendre méconnaissables aux autres par des arguments spécieux: mais ces mots de magnanimité, dʼéquité, de tempérance, dʼhumanité, de courage, ils ne sauront ce que cʼest; ce doux nom de Patrie lie frappera jamais leur oreille; et sʼils entendent parler de Dieu, ce sera moins pour le craindre que pour en avoir peur.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
Discours sur les sciences et les arts : quelles conclusions ?
Rousseau ne critique pas les sciences et les arts dans son entièreté. Il critique la dépravation des moeurs et de la vertu par les arts et les sciences.
À la fin de l’ouvrage, il parle avec éloquence de Newton, Descartes et de Bacon. Il existe des génies, des « précepteurs du genre humain« , dit-il.
S’il faut permettre à quelques hommes de se livrer à l’étude des sciences et des arts, ce n’est qu’à ceux qui se sentiront la force de marcher seuls sur leurs traces, et de les devancer. C’est à ce petit nombre qu’il appartient d’élever des monuments à la gloire de l’esprit humain.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
Rousseau n’est pas de ceux qui prône un retour en arrière, même s’il semble parfois en faire l’éloge. Non, Rousseau cherche à dépasser ce statut pour utiliser au mieux les arts, les sciences et rétablir les bonnes moeurs.
Pour cela, il invite les rois à s’entourer de grands philosophes et scientifiques et de leur permettre de vivre aisément.
Croit-on que si l’un (Cicéron) n’^eût occupé qu’une chaire dans quelque université, et l’autre (Bacon) n’eût obtenu qu’une modique pension d’académie ; croit-on, dis-je, que leurs ouvrages ne se sentiraient pas de leur état ? Que les rois ne dédaignent donc pas d’admettre dans leurs conseils les gens les plus capables de les bien conseiller : qu’ils renoncent à ce vieux préjugé inventé par l’orgueil des Grands, que l’art de conduire les peuples est plus difficile que celui de les éclairer.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
Pour les autres, dépourvu de ce talent, il nous invite à rester dans l’ombre. Courir derrière une réputation nous coûtera plus de malheurs et de sacrifices que ne nous apportera de bonheur.
À quoi bon chercher notre bonheur dans l’opinion d’autrui si nous pouvons le trouver dans nous-même. Laissons à d’autres le soin d’instruire les peuples de leurs devoirs, et bornons-nous à bien remplir les nôtres, nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage.
Discours sur les sciences et les arts, Rousseau
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